L’eCommerce est-il de droite ?

Plaidoyer pour un eCommerce éthique et humaniste

L’eCommerce est-il de droite ?

Je sais pas si vous vous préoccupez de politique et de morale, mais moi oui.

Mon idée de base : j’ai pas envie de vivre une vie de merde. Je veux vivre une belle vie. Cela implique d’avoir et d’appliquer une morale pour vivre en société.

Or vivre en société, préhistoriques comme actuelles, agraires comme urbaines, c’est participer à du commerce, comme client ou comme marchand.

D’où ma question : l’eCommerce est-il de droite ?

Philosophes, vous me direz : Il faut définir les termes.

Ok :

eCommerce = commerce par voie électronique, commerce à distance, au moyen d’ordinateurs, de tablettes, de téléphones mobiles. Jusque-là, on est d’accord.

Mais, perspicaces que vous êtes, vous aurez noté que j’ai défini « eCommerce » par « commerce » : nous voilà bien avancés ! Il faut donc que je définisse « commerce ».

Commerce = il est intéressant de connaître le premier usage de ce mot. En français classique, le terme commerce désignait toute relation humaine. Par exemple, dans cette citation de La Bruyère (17è siècle) :

« L’on a vu, il n’y a pas longtemps, un cercle de personnes des deux sexes, liées ensemble par la conversation et par un commerce d’esprit… »

Un commerce d’esprit ! Oui, une relation interpersonnelle, désintéressée, simplement humaine, voilà l’origine du commerce : il est bon de s’en souvenir, et de perpétuer ce sens.

Avec le développement du capitalisme et la victoire de la bourgeoisie qui renverse les monarchies pour établir des Républiques libérales de plus en plus capitalistes, le terme commerce évolue vers un sens strictement marchand.

Et donc commerce = échange de biens ou de services, le plus souvent de manière monétaire : échanges de marchandises contre de l’argent.

De droite = là c’est plus difficile à définir. A partir de là, on se divise et on commence à se haïr. Sortez les Molotov, sortez les Flashball. Nan, je rigole, rangez tout ça et lisez la suite.

Etant de gauche, je dirais que les courants politiques de droite se caractérisent par une priorité donnée à certaines valeurs morales :

• L’autorité, contre la liberté
  • Exemple : faire des kyrielles de lois répressives, au lieu de privilégier la liberté donc la responsabilité : dès lors qu’on n’a plus le choix, que ceci et cela sont INTERDITS, on n’est plus responsables de soi-même et d’autrui
• L’argent, avant les gens
  • Exemple : de nombreuses entreprises sont de droite au sens où elles placent leur profit avant tout autre intérêt : leurs travailleurs, leurs clients, la nature… Pour gratter des euros, on ne recule devant aucune destruction. Si c’est utile au propriétaire, on pollue la rivière, on utilise des enfants, on frappe des syndicalistes. Les législateurs de droite garantissent la légalité des destructions de l’économie de droite. La politique libérale consiste d’ailleurs à affirmer que le cœur de la société, c’est l’économie marchande.
• Le bien-être individuel, avant le bien-être collectif, et mon bien-être avant ton bien-être
  • Exemple : les partis de droite veulent toujours baisser les impôts, surtout les impôts des riches, du capital, des entreprises. Ils refusent de contribuer à la santé, à l’éducation. A la limite, ils veulent bien investir dans l’armée et la police – utiles à leurs intérêts économiques. L’intérêt des individus prime sur les intérêts collectifs, ceux de l’humanité par exemple, ceux des êtres vivants (donc le zoocide de milliards d’animaux tous les ans, c’est OK.)

Du coup, le eCommerce est-il de droite ?

Considérez Amazon : droite, gauche ? Evidemment, ça sent très fort la droite.

Caractéristiques communes d’Amazon et de la droite :

• mépris des travailleurs (quasi-interdiction du syndicalisme, rythmes de travail inhumains, sous-paiement) et de la nature (pollution massive),
• profit avant tout,
• l’intérêt de Bezos prime sur tout le reste (liquidation de secteurs entiers de l’économie, et le gars n’a pas chopé ses milliards dans le ciel, mais dans nos poches et dans celles des entreprises qui ont accepté ses tarifs exorbitants, ses commissions inéquitables).

Mais, même au tout petit niveau des micro-entreprises, des TPE-PME, on peut parler de eCommerce de droite ou de gauche – et c’est l’objet de mon article.

Je vais essayer de vous convaincre qu’un eCommerce de gauche, c’est-à-dire éthique, libertaire, mutuel, honnête, altruiste, est préférable pour tout le monde, même pour les gens de droite, qui, en privilégiant toujours leur intérêt égoïste, nous font un monde moins agréable à vivre.

L’eCommerce de droite

L’eCommerce de droite va se définir comme la droite : autoritaire, prédateur, et égoïste.

Autoritaire

Tel site va, par exemple, dès l’arrivée du visiteur, polluer l’écran avec :

• des pop-ups
• des invitations à s’abonner à une newsletter
• des propositions pseudo-gratuites, qui sont en réalité des mensonges
• des cookies à accepter

=> Ce genre de site est clair d’entrée : votre confort mental, visuel, votre temps, il n’en a rien à faire, tout ce qui compte pour lui c’est faire du chiffre, augmenter ses capitaux – d’inscrits, de prospects, de clients « convertis ».

Du fait même que, d’entrée, ce site vous considère comme un porte-monnaie ambulant ou une machine à cliquer, vous déconsidère donc en tant qu’humain, cela vous renseigne sur le genre de crapule cynique qui est derrière.

Tous ces moyens visuellement et mentalement polluants ont le même côté autoritaire et liberticide : ils prétendent vous donner un choix qui ne vous laisse en réalité pas le choix : vous êtes exposés à leur pop-up, à leurs messages intrusifs etc, et vous devez les fermer un par un, comme si vous n’aviez que ça à faire.

Prédateur

Prédateurs, ils veulent, avant même de vous connaître et de se faire connaître par vous, prendre tout ce qu’ils peuvent, comme des voyous de rue.

Malhonnêtes., ils usent et abusent de multiples stratagèmes.

En effet, pour bien exploiter son prochain, pour lui extorquer son attention, son temps, son énergie, puis son argent, il faut lui mentir. Ce style mensonger découle typiquement des intentions de l’eCommerce rapace.

On ment donc au public de multiples manières :

• On lui propose un « guide gratuit », qui n’est qu’une vaste publicité déguisée rédigée par l’hypocrisie en personne (oui, cette conne sait écrire, elle a bien appris à l’école)
• On lui affiche des prix attractifs (qui dissimulent des coûts cachés, qui vendent des biens qui étaient en fait gratuits ou parfaitement inutiles, genre de pseudo « assurances »)
• On lui affiche un pop-up d’acceptation / refus des cookies, où l’option « refuser » est grisée, bien moins visible que l’option « tout accepter », elle-même deux fois plus visible que l’option « paramétrer », elle-même conçue pour vous induire en erreur, le but de toute cette manœuvre frauduleuse mais légale étant évidemment de pomper vos données pour les revendre, dans une éthique d’exploitation cynique typiquement droitière. (90% des « grands médias » se comportent comme des petits voyous : ils sont la propriété de milliardaires sans scrupules, donc quoi d’étonnant ? On a le monde qu’on accepte.)

Egoïste

Egoïstes, ils vous offrent un site qui n’est en fait conçu que dans leur propre intérêt. Ils ne veulent rien vous donner, mais cherchent à vous exploiter un maximum.

L’eCommerce de droite, est-ce que ça marche bien ? Apparemment, assez pour qu’ils continuent à exister. Moi, quand je vois leurs pratiques, je clique la petite croix, je refuse de collaborer à leur sale petit jeu d’exploitation d’autrui.

L’eCommerce de gauche

On pourrait le résumer à l’aide de cette belle formule :

« Agis de telle façon que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans celle d’autrui, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen »

Emmanuel Kant

Pratiquer un eCommerce de gauche, implique donc d’être :

Libertaire

Laissez les gens arriver sur votre site, découvrir vos charmes, vos talents, vos forces, laissez-les prendre le temps de vous aimer.

Ne les forcez pas à cliquer ici ou là, ni à remplir des formulaires, ni à rien d’autre ; mettez les belles choses à disposition ici et là, les gens iront spontanément les regarder de plus près.

Placez, dans l’interface, sans que cela saute à la gueule des visiteurs, les formulaires d’inscription adéquats, les propositions de guides gratuits.

N’essayez pas tout de suite de vendre : essayez de vous faire apprécier d’abord, de créer de l’intérêt, de créer une bonne ambiance et une bonne relation avec votre public ; ensuite seulement, vendez.

Si les gens aiment vos articles, vos images, vos produits, pensez-vous qu’ils auront envie de s’abonner à vos newsletters ? Je pense que oui.

Si vous vous montrez respectueux avec elles et eux, pensez-vous qu’ils vous feront confiance et auront envie de vous acheter vos produits et services ? Je pense que oui.

Plus que si vous leur faites les poches dès leur arrivée.

Concernant le choix d’accepter ou refuser les cookies : ne revendez de toute façon pas les données personnelles dès lors que ce n’est pas votre cœur de métier, sinon vous n’êtes que des tricheurs cyniques et immoraux ; et présentez les boutons Accepter et Refuser sur un pied d’égalité, qui ne force aucun choix.

Equitable

Le commerce équitable est par définition honnête : il montre le produit au prospect, il décrit les conditions dans lesquelles le produit sera utile, ou pas, au client.

Une bonne fiche produit devrait dire clairement : je m’adresse à telle clientèle, mais pas à telle autre. Je suis pour toi, SI…

Une fiche produit ne devrait jamais se prostituer et prétendre mensongèrement qu’elle va vous apporter des bénéfices universels, guérir vos trois cancers, nourrir votre chat tous les matins, soigner vos règles douloureuses et ramener votre femme à la maison, tout ça pour 12€ HT.

Vous devez fixer le juste prix, sans essayer d’exploiter vos clients. Je sais qu’il y a des prestataires qui proposent 2000€ pour installer un WordPress ; je parie qu’ils violeraient des petits chats si ça pouvait leur rapporter 10€. Les clients n’aiment pas ça.

Cela va sans dire : ne vendez pas du guano produit en Chine ou ailleurs, ne faites pas de dropshipping, ne participez pas à l’exploitation d’autres humains dans des pays économiquement désavantagés.

Si vos coûts de production sont élevés parce que vous êtes éthiques, parlez-en à vos prospects. Une partie comprendra.

Votre camelote doit donc être réellement profitable pour les clients, et si elle l’est, vos clients vous le renverront :

• ils feront votre pub et vous rapporteront d’autres clients, de sorte que plus ça ira, plus vous pourrez vous concentrer sur votre cœur de métier et pas sur la comm’ et la pub ;
• ils seront fidèles et augmenteront leur volume d’achat ;
• ils vous pardonneront vos erreurs, comme on pardonne aux gens qu’on aime.

Soyez vrais, authentiques, honnêtes, et vous générerez de la confiance.

Générez de la confiance, et vous augmenterez votre clientèle et vos ventes.

Généreux

Le bon commerce, à mon avis, se comporte comme une personne qu’on aime dans la vie (sauf si votre kif c’est les nazis et les escrocs) : altruiste et généreux, à l’écoute, respectueux, non-intrusif, non-abusif, non-violent.

Sans négliger votre propre intérêt, mettez la priorité sur l’intérêt de votre public.

Vous annoncez une garantie « Satisfait ou remboursé » ? Eh bien tenez votre parole, même si vous y perdez temps et argent.

Vous n’avez pas les moyens, le temps, l’argent, d’assurer une garantie « Satisfait ou remboursé » ? Eh bien faites comprendre vos conditions de travail à vos visiteurs pour qu’ils / elles puissent comprendre, même implicitement, que vous ne pouvez pas assurer des garanties de très haute qualité – on ne vous en voudra pas d’être petits si vous êtes honnêtes.

Ne faites que les promesses que vous êtes sûr de pouvoir tenir. La lune n’est pas à vous, ni la peau de l’ours : ne les vendez pas.

Vous vendez des babioles ? Rajoutez un bonbon.

Vous vendez des trucs chers ? Faites une ristourne aux bons clients, sans rendre cette ristourne systématique sinon ça redevient un mensonge cynique et sans cœur.

Vous vous trompez dans l’envoi d’un produit, dans l’exécution d’une prestation ? Remboursez, tout ou partie, ou offrez une contrepartie à la hauteur, un bon d’achat par exemple, et ne vous ratez pas deux fois de suite.

Vous offrez un guide gratuit ? Faites-en vraiment quelque chose d’original et d’utile, et pas une mauvaise pub déguisée : si vraiment vous avez donné votre temps, votre talent et votre savoir, vous gagnerez de la réputation, de la reconnaissance, des liens, des partages, de l’autorité. Personne ne voudra partager un faux guide digne d’une mauvaise pub Lidl.

En d’autres termes

Je vais reformuler :

• Le commerce, c’est l’amour, ça se fait forcément à deux
• L’eCommerce de droite, c’est le porno : exploiteur, violent, égoïste, tout le monde en sort amoindri
• L’eCommerce de gauche, c’est l’érotisme et le tantra : égalitaire, câlin, nirvanesque, tout le monde en sort amélioré

Franchement, pour votre vie intime, vous préférez quoi ?

Apologie du commerce

Vous l’aurez peut-être deviné, j’adhère à une école philosophique et politique qui met la liberté au centre des rapports sociaux.

En d’autres termes, je suis libertaire.

En d’autres termes, j’appartiens à la grande famille humaine des anarchistes, – pas celle, dévoyée, qui pose des bombes, certes, mais celle qui a créé partout dans le monde des réseaux d’entraide entre opprimés, des mutuelles de travailleurs/travailleuses ou d’artisans, des écoles libres, des banques et des entreprises coopératives sans patron où tout le profit est redistribué et où on s’interdit d’ailleurs tout profit relevant de l’escroquerie.

Dans mon école philosophique, il y a des gens qui détestent l’activité économique, en soi ; et dans nos nombreux adversaires, il y a des gens qui pensent que les partisans de la liberté sont « anticapitalistes« .

Je suis anticapitaliste au sens où je pense qu’on doit absolument éviter que l’argent domine les humains.

Mais je suis à fond pro-commerce, et pro-travail (dès lors qu’il est libre et autonome) parce que l’activité créatrice est à mon avis inhérente à la condition humaine : la nature nous pose de multiples problèmes en nous confrontant à nos propres besoins, corporels et sociaux, et une solution qu’on a inventée pour régler ces problèmes, c’est la production et son corolaire, le commerce.

Je tiens à faire l’apologie du commerce. Le commerce, c’est la vie ! Le commerce, c’est l’échange des biens et services produits par des humains qui y mettent leur passion et leur talent, qui y investissent leur énergie et leur temps, qui y consacrent leur corps et leur esprit.

De fait, personne ne peut fabriquer lui-même ou elle-même dont ce dont il ou elle a besoin. Je ne peux pas faire ma maison ET mes habits ET ma nourriture ET mes machines ET mes routes ET mon webdesign. Personne n’est universellement compétent, chacun a besoin du temps, du talent, du travail, du corps, de l’esprit d’autrui : c’est le commerce qui permet la circulation de ces trésors humains.

Ce commerce magnifique existe depuis bien avant le capitalisme, il existe même depuis avant la révolution néolithique de l’agriculture, de l’élevage, de l’urbanisme, de l’Etat, et de l’inégalité sociale. Le commerce existe depuis une période très lointaine de la préhistoire, des centaines de milliers d’années avant nous : on le sait, pour sûr, car on a retrouvé sur des sites archéologiques de belles pierres dont on a retrouvé l’origine : certains ont parcouru des milliers de kilomètres, preuve que les humains aimaient déjà échanger ce qu’ils trouvaient beau.

Soyons les dignes héritiers de ce commerce-là ! Pas celui qui vole son prochain, mais celui qui l’enrichit.